Lecanemab : un nouveau médicament prometteur pour les malades d’Alzheimer ?
L’étude clinique en phase 3 du lecanemab, une nouvelle molécule contre la maladie d’Alzheimer, vient de donner des résultats concluants. Quels sont les enjeux de ces résultats ? Un nouveau médicament traitant enfin la maladie et non plus les symptômes d’Alzheimer pourrait-il enfin voir le jour dans nos pharmacies? Explications du Dr. Maï PANCHAL, PhD. Directrice Générale et Scientifique de la Fondation Vaincre Alzheimer.
Bonjour Dr. PANCHAL, je vous remercie pour cette interview. On parle beaucoup de la molécule lecanemab en ce moment, pouvez-vous expliquer en quelques mots sur quel principe fonctionne-t-elle ?
La molécule lecanemab est un anticorps expérimental qui est capable de se fixer aux formes fibrillaires solubles de la protéine bêta-amyloïde, dans le but de l’éliminer. En effet, chez les malades d’Alzheimer, la protéine bêta-amyloïde se retrouve en trop grande quantité dans le cerveau et forme des agrégats fibrillaires toxiques pour les neurones et leurs connexions. Cet anticorps vise à éliminer ces agrégats toxiques, on parle alors d’anticorps « anti-amyloïde ».
En quoi ce nouveau médicament a-t-il donné des résultats encourageants ces dernières semaines? Peut-on vraiment parler d'une grande avancée?
Ce candidat-médicament a été testé dans une étude qui comportait 1 795 personnes ayant des troubles cognitifs légers ou présentant une maladie d’Alzheimer à un stade léger. Tous avaient des dépôts amyloïdes présents dans leur cerveau. Ces patients ont été séparés de manière aléatoire pour recevoir, en perfusion intraveineuse, le lecanemab ou le placebo (le médicament sans principe actif). Après 18 mois de suivi, il a été observé une réduction significative du déclin cognitif de 27% dans le groupe de patients ayant reçu le lecanemab par rapport au groupe ayant reçu le placebo. Il est à noter que ces bénéfices s’observent dès le 6ème mois de traitement.
Ces résultats sont historiques ! C’est la première fois qu’une immunothérapie qui nettoie le cerveau des dépôts amyloïdes montre un effet bénéfique direct sur la cognition. Les essais cliniques « anti-amyloïdes » précédents ont déjà montré un nettoyage des agrégats toxiques du cerveau mais aucun effet significatif sur le ralentissement du déclin cognitif n’a été observé.
On peut donc parler d’une grande avancée dans le domaine de la recherche clinique sur la maladie d’Alzheimer.
Le lecanemab est un anticorps monoclonal appartenant à l’immunothérapie, pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste ce type de traitements ?
L'immunothérapie est un traitement thérapeutique qui agit sur le système immunitaire du patient. Dans le cas du lecanemab, on parle d’immunothérapie passive car on administre directement un anticorps qui va se lier à la protéine à éliminer, ce qui permet aux cellules microgliales (qui assurent la fonction immunitaire du cerveau) de supprimer cette protéine. Il est à noter que dans l’étude, le lecanemab a permis une réduction significative des dépôts amyloïdes dans le cerveau des patients ayant reçu le traitement et ce, dès le 3ème mois de suivi.
Pensez-vous que ce médicament pourrait bientôt être commercialisé ?
Les laboratoires Eisai & Biogen souhaitent déposer une demande d’autorisation de mise sur le marché aux Etats-Unis dès le mois de janvier 2023. Une demande de soumission auprès de l’agence européenne des médicaments est également prévue dans le courant de l’année 2023. Si l’agence européenne donne un avis favorable, il faudra ensuite déposer le dossier auprès de la Haute autorité de Santé pour une demande de mise sur le marché en France. Il faudra donc peut-être encore attendre deux années avant sa commercialisation, si les différentes agences donnent leur feu vert.
Quels sont les effets secondaires du lecanemab et pourra-t-on les éviter ?
Il a été montré la présence d’effets indésirables, qu’on retrouve souvent avec l’administration des anticorps anti-amyloïde, nommés ARIA (amyloid-related imaging abnormalities). Ces ARIA se manifestent sous la forme d’œdèmes cérébraux ou d’hémorragies cérébrales.
Au total, ce sont 21,3% des patients traités par le lecanemab qui ont développé un ARIA, contre 9,3% des patients ayant reçu le placebo.
Ces effets indésirables sont plutôt rares mais ils peuvent être graves. Il sera donc important de repérer les patients à risque de développer un ARIA grave, avant l’administration du traitement. Pour exemple, il semble que les patients sous anticoagulants ont un risque plus élevé de développer une hémorragie cérébrale avec le lecanemab; et les personnes porteuses du facteur de risque génétique de la maladie d’Alzheimer ApoE4 ont plus de risque de développer des ARIA symptomatiques et sévères avec ce traitement.
Existe-t-il d’autres essais en cours sur le même type de médicaments ?
En effet, il y a d’autres essais en cours testant l’immunothérapie anti-amyloïde, comme le donanemab. En 2021, cet anticorps anti-amyloïde avait montré un ralentissement du déclin cognitif d’environ 30 % après 18 mois de traitement dans un essai clinique de phase 2 chez des malades d’Alzheimer au stade léger. Ces résultats sont porteurs d’espoirs et nous attendons avec impatience leur confirmation dans la phase 3 de l’étude dont les conclusions devraient être connues au printemps 2023.
Si le Lecanemab, ou un médicament similaire, est un jour sur le marché, en quoi pourra-t-il véritablement aider les malades ?
Ce médicament pourrait aider les personnes malades diagnostiquées au stade léger ou ayant de légers troubles cognitifs. Lorsque le déclin cognitif est relativement faible en début de maladie, le lecanemab pourrait permettre de « stabiliser » ce déclin et donc de ralentir l’évolution de la pathologie. Ce type de traitement permettrait donc de vivre avec la maladie tout en gardant son autonomie le plus longtemps possible.
Quels sont les enjeux actuels de la recherche Alzheimer?
Ce que nous savons aujourd’hui, c’est qu’il faut agir très tôt. En effet, les scientifiques ont montré que les lésions cérébrales de la maladie d’Alzheimer se forment 15 à 20 ans avant l’apparition des premiers symptômes. On est donc face à une maladie silencieuse et d’une évolution très lente. Un des enjeux actuels de la recherche est donc de pouvoir diagnostiquer la maladie de façon très précoce, pendant sa phase silencieuse.
En parallèle du développement du diagnostic précoce, plus de 100 molécules sont en cours d’essai clinique dans le monde. Il existe donc un véritable développement thérapeutique dans le domaine.
Mais il ne faut pas oublier que la maladie d’Alzheimer est une pathologie multifactorielle. L’accumulation d’une autre protéine, la protéine tau, dans le cerveau des malades est elle aussi à l’origine des symptômes. Entrent également en jeu les voies inflammatoires, métaboliques, vasculaires, génétiques et environnementales. Pour réellement stopper ledéclin cognitif, il faudra certainement mettre en place une multithérapie visant différentes cibles moléculaires.
A la Fondation Vaincre Alzheimer, quels sont les champs d’action au sein desquels vous participez à la recherche contre la maladie d’Alzheimer?
Chaque année, nous continuons à soutenir la recherche d’excellence sur tout le territoire français pour mieux comprendre les causes de la maladie. Grâce à nos fidèles donateurs, nous avons permis à la recherche médicale de s’accélérer, tant sur l’identification de nouvelles cibles thérapeutiques que sur une meilleure compréhension du rôle des facteurs génétiques et environnementaux de la maladie.
La Fondation Vaincre Alzheimer soutient également le développement de nouvelles méthodes de diagnostic précoce. C’est tout l’enjeu du projet du Prof. Payoux (CHU de Toulouse, Université Paul Sabatier, Inserm) que nous finançons à hauteur de 867 000 euros sur 4 ans (2022-2025), qui vise à détecter la maladie d’Alzheimer avant les premiers symptômes. Le Prof. Payoux va s’appuyer sur l’association innovante de 3 méthodes : la tomographie par émission de positons, l’imagerie par résonance magnétique (IRM) et l’oculométrie. Il s’agit d’une combinaison inédite qui permettra, à terme, un diagnostic durant la phase silencieuse de la pathologie, dans le but de prolonger les capacités cognitives des malades plus longtemps.
Vous émettez tout de même une certaine réserve concernant la suite de ces résultats cliniques. Selon-vous, quels seront les futurs enjeux posés par cette avancée ?
Les résultats du lecanemab sont réellement porteurs d’espoir mais ils suscitent également beaucoup de questions, notamment sur ses conséquences dans le parcours de soin. En effet, si ce traitement arrive sur le marché, il faudra prévoir son administration intraveineuse aux patients (à l’hôpital ? à domicile ?) et un suivi rigoureux et régulier des œdèmes cérébraux par IRM (accessibilité et délais d’une l’IRM ?). Par ailleurs, quel sera le coût de ce traitement ? Quels seront ses effets à plus long terme ? Quels seraient ses effets sur les autres stades de la maladie ? Les résultats prometteurs du lecanemab ouvrent définitivement la voie vers une nouvelle ère de prise en charge de la maladie d’Alzheimer.
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